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SYLVIE ALIX -Responsable de la Médiathèque du Musée d'art contemporain de Montréal

SYLVIE  ALIX
À la fine pointe de l’art contemporain
Par Jocelyne Aird-Bélanger                       Avril 2008

Du haut de son bureau au deuxième étage du Musée d’art contemporain de Montréal, Sylvie Alix a une vue plongeante sur les grands travaux entrepris pour établir le Quartier des spectacles. Camions et grues mécaniques creusent et déplacent une terre meuble qu’on avait presque oubliée en plein cœur de la ville. Bibliothécaire spécialisée en art contemporain, responsable depuis neuf mois de la Médiathèque du Musée, Madame Alix est à terminer sous une masse de papiers, rapports et autres documents de fermeture d’année. Avant d’occuper ce poste, elle a travaillé de longues années à Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

15 ans à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec

En tant que chef des collections spéciales, elle dirigeait l’équipe des bibliothécaires et techniciens en documentation spécialisés en livres anciens et iconographie documentaire, affiches et programmes de spectacle, cartes postales et cartes géographiques. Plus particulièrement, elle était bibliothécaire responsable des collections d’estampes, de livres d’artistes et d’ouvrages de bibliophilie et collaborait étroitement aux acquisitions dont le dépôt légal de ces documents. Il serait peut-être plus juste de préciser qu’elle défendait l’estampe contemporaine et le livre d’artiste sous toutes ses formes. Car Sylvie Alix est une battante qui a accompli une tâche énorme dans son champ d’activité. Durant son passage à la Bibliothèque, à cause de la loi sur le dépôt légal, la collection d’estampes est passée de 200 estampes en 1992 à un peu plus de 25 000 en 2007. Elle fut chargée au départ de concevoir et constituer la collection d’estampes, soit de planifier leur conservation selon les conditions et installations d’entreposage de type muséal, de prévoir le développement de la collection par un programme d’acquisition sous la forme du dépôt légal, de l’achat et du don. Elle devait aussi élaborer l’inscription des œuvres à la base de données IRIS[1] , donc ajuster les règles et les pratiques de catalogage, mieux adaptées aux livres, à la description intellectuelle d’œuvres d’art. Les estampes ont également été numérisées, du moins 6 000 d’entre elles. Ce fut là un travail considérable de pionnier. Une des ses luttes a consisté à faire réviser la loi du dépôt légal pour qu’une seule épreuve (estampe) soit soumise au dépôt légal[2], mais surtout, que la deuxième épreuve face l’objet d’un achat sur recommandation d’un comité d’acquisition composé de spécialistes du milieu nommés à cet effet.

Dans le cas des livres d’artistes, la situation se complexifiait un peu plus. La définition même du «livre d’artiste» était à revoir. Jusqu’à son arrivée, la notion du livre d’artiste véhiculée à la Bibliothèque nationale était strictement européenne voir française et rejoignait le concept du livre illustré d’œuvres originales, du livre de bibliophilie, du «beau» livre de graveur avec typographie manuelle et fine reliure. Grâce à ses recherches et à sa compréhension intime de l’art de son époque, Sylvie Alix a su élargir le spectre et faire accepter également le livre d’artiste de conception américaine, c'est-à-dire une oeuvre d’art créée par un artiste sous forme de livre. Le livre d’artiste selon Sylvie Alix intègre une variété de forme tel le livre–objet, la publication d’artiste, le graphzine[3], ce qui n’est pas toujours le cas dans d’autres dépôts légaux et collections d’art contemporain à travers le monde. Grâce à sa connaissance du domaine, il y aurait aujourd’hui à BAnQ plus de 3000 ouvrages de bibliophilie dont au moins 1500 livres d’artistes. Elle a aussi veillé à la numérisation de 500 livres de cette collection comptabilisant près de 12 000 pages de livres numérisées.


De la pratique à la théorie

Sylvie Alix a une compréhension profonde, intime de l’art contemporain et de l’estampe car elle a terminé un Baccalauréat en arts visuels à l’Université Concordia avec une  spécialisation  en estampe. Elle a effectivement créé des estampes pendant six ans. C’est peut-être là la source de son respect des artistes et de leur travail en même temps que l’origine de sa rigueur intellectuelle : elle est fondée sur la pratique. Au cours de ses années d’études en art, elle éprouvait une déception répétée lors de ses recherches en tant qu’artiste, de ne pas réussir à trouver aisément de l'information visuelle sur les sujets qu’elle voulait développer dans sa pratique artistique. Cela l’a motivée à poursuivre ses études par une maîtrise en bibliothéconomie à l’Université MC Gill, où elle a investigué les possibilités technologiques disponibles pour faire évoluer la recherche en images dans le contexte de l’art contemporain.

Auteur des Répertoires des livres d’artistes au Québec de 1991 à 1993 et de celui de 1993 à 1997, Madame Alix a signé des catalogues et autres monographies tels ceux sur Jacques Fournier[4] ou Louis Pierre Bougie[5]. Pédagogue enthousiaste, elle a animé à la Bibliothèque de nombreux ateliers conférences pour les artistes, les étudiants, les collectionneurs ou les amateurs d’estampes et de livres d’artistes. En 2000, elle a donné le cours Book art / Book work à l’Université Concordia. En 2003, elle présentait le livre d’artiste québécois à une exposition du Canadian Bookbinding and Book Artist Guild à la York Quay Gallery du Harbourtfront Center de Toronto. Ce fut l’occasion d’échanges enrichissants et de comparaisons entre les différentes conceptions du livre d’artiste tels que perçues par les milieux francophone et anglophone.


Rôle de la Médiathèque du Musée d’art contemporain de Montréal

Sylvie Alix adhère à l’idée que le rôle de l'artiste ne se limite pas à la projection d’un regard individualiste mais doit chercher à exprimer le monde qui l’entoure et être pertinent. Elle soutient : « Les artistes qui veulent développer leur savoir visuel doivent voir une quantité monumentale d’images appartenant au domaine de l’art ou non. C’est pourquoi toute production artistique devrait s’amorcer par une importante étape de recherche visuelle et théorique. » Alix s’étonne de constater du nombre peu élevé d’artistes qui consultent les centres de documentations et les bibliothèques, c’est-à-dire qui intègrent la recherche documentaire dans le cadre de leur pratique. Elle mentionne : « Les artistes sont nombreux à évoquer le manque d’intérêt du public face à l’art contemporain,  mais qu’en est-il de leur propre intérêt envers  leur milieu, à la production de leur pairs tant sur le plan national qu’international? » Et c’est là que la Médiathèque[6] entre jeu. Depuis sa création en 1965, la Médiathèque reçoit une quantité d'informations d’un réseau international d'échanges entre musées. Elle a constitué un corpus impressionnant de 38 000 livres, 10 000 dossiers d’artistes, 8 000 documents visuels, 1 000 films documentaires,  400 titres actifs de périodiques de même que plusieurs fonds documentaires tels le fonds Guérin-Lajoie/OVO. Une collection accessible à tous et exclusivement vouée à l’art contemporain québécois, canadien et international. La Médiathèque entend se maintenir à la fine pointe de l'actualité des arts contemporains et déployer tous les moyens possibles pour favoriser la recherche tant pour les artistes, pour les néophytes que pour les spécialistes. Elle projette aussi d’offrir des services personnalisés et spécialisés en lien à la recherche en art contemporain aux étudiants du 1er et 2e  cycle universitaire, aux artistes professionnels et au grand public tels que des séminaires sur le livre et l’artiste, la recherche visuelle, la méthodologie de recherche en art contemporain.

Les bibliothèques diffèrent dans leur offre de services et de collections en arts visuels. La Grande Bibliothèque permet l’accès à un corpus d’œuvres imprimées d’artistes québécois; son corpus d’ouvrages de référence est généraliste. Les bibliothèques en arts visuels des universités servent d’abord leur communauté étudiante et s’enlignent sur le programme de cours offerts par leur département en histoire de l’art. La Médiathèque du Musée d’art contemporain de Montréal offre quant à elle, une information complète sur les arts visuels contemporains, pour ne pas dire «hyper-contemporains». S’y retrouvent également les films sur l’art comme ceux offerts dans le cadre du Festival international du film sur l’art présenté chaque année à Montréal. Ils sont toujours disponibles pour visionnement pendant les heures d’ouverture de la Médiathèque du mardi au vendredi et les mercredis soirs.

Serions–nous ici devant l’un des secrets les mieux gardés de Montréal : une Médiathèque exhaustive en art contemporain, accessible à tous, au sommet d’un magnifique musée en plein centre de notre ville? Sylvie Alix souhaite au contraire que la Médiathèque soit de plus en plus fréquentée et devienne même un lieu de ressourcement pour les artistes, les chercheurs et les amateurs d’art contemporain.


Photo :
Sylvie Alix à la Médiathèque  en haut duMusée d’art contemporain de Montréal.




[1] Lien Internet au catalogue Iris : http://catalogue.banq.qc.ca/cap_fr.html

[2] Le dépôt légal originalement exigeait que deux épreuves soient soumises au dépôt légal.
[3] Se référer à sa publication : Graphzines et autres publications d'artistes, Montréal, BAnQ, 2007.
[4] Les Éditions Roselin : intimités poétiques, Joliette, Musée d’art de Joliette, 2000.
[5] Louis-Pierre Bougie : prix de la Fondation Monique et Robert Parizeau 2005, Québec, Musée national des beaux-arts du Québec, 2005.
[6] Se référer au site de la Médiathèque : http://media.macm.org/.